Coliving : inclusion ou gentrification?
“Ça sent le plâtre et l'enduit et la poussière toute neuve”… Bénabar chantonne dans ma tête alors que nous visitons la nouvelle résidence de The Babel Community en plein centre-ville de Marseille à deux pas du vieux port. Nous sommes quelques privilégiés, invités pour lepremier meet-up Co-Liv en hybride depuis un an. Les premiers résidents, eux, sont attendus dans quelques jours. “Ils ont entre 25 et 35 ans, travaillent et ne veulent pas vivre seuls”, explique Benoît Jobert, co-fondateur du concept Babel.
Ces jeunes workers sont la cible privilégiée des investisseurs et des opérateurs decoliving et les offres se multiplient dans la plupart des grandes villes françaises. Mais avec quel impact? Ces nouvelles formes d’habitat, axées sur lepartage, peuvent-elles favoriser l’inclusion ou au contraire accélérer la gentrification?
Cette question est au cœur de notre réflexion chez Vitanovae et nous l’avonsabordée lors du meet-up Co-Liv de juin avec Emmanuelle Cosse, la présidente del’USH, l'Union sociale pour l'habitat.
Gentrification vs Inclusion?
La gentrification est une expression anglaise qui désigne l'embourgeoisement d’un quartier populaire. C’est l’exemple d’Harlem, ancien ghetto afro-américain défavorisé de New York, aujourd’huiréhabilité et investi par des familles aisées. Mais ce phénomène touche aussi de nombreuses métropoles françaises et pousse les plus défavorisés vers lapériphérie des villes.
L’inclusion, à l’inverse, lutte contre l'exclusion socialeet les inégalités. La Commission européenne la définit comme “un processuspermettant aux personnes en danger de pauvreté et d'exclusion sociale departiciper à la vie économique, sociale et culturelle, et de jouir d'un niveaude vie décent”.
Ces deux termes, gentrification et inclusion,semblent donc s’opposer en tout points. Mais la réalité est plus complexe.Prenons l’exemple d’un grand coliving dans le centre de Londres. 6 résidents sur 10 sont des femmes. Cette parité semble favoriser une certaine formed’inclusion. Mais dans le même temps, 80 % d’entre eux bénéficient de plus de40K de revenus. Un niveau de vie qui risque au contraire d’entraîner une hausse des prix et de facto d’accélérer la gentrification du quartier.
Grâce à cet exemple, nous comprenons que cen’est pas la forme d’habitat, ici le coliving, qui induit gentrification ouinclusion, mais plutôt la manière dont le lieux est opéré.
Une offre monoproduit
Valentine Gros est avocate associée chez UrbanAct Avocats. Elle accompagne sur le plan juridique les acteurs de l’immobilierengagés dans le développement d’une ville accessible à tous. Elle constate que l’offre de coliving concerne aujourd’hui surtout les jeunes actifs et lesjeunes retraités et qu’il est plus rare de voir des résidences avec plusieursgénérations mélangées. La multiplication des coliving communautaires, destinées à un seul usage ou à un seul public (jeunes workers, seniors, étudiants…) risque donc d’être un facteur de gentrification.
Mais comment changer de modèle? FrédéricGeoffrois a fondé The Coco Community dans le Marais à Paris, un coliving à destination des travailleurs étrangers. Lui-même a vécu pendant des années cette vie d’expatrié, logé dans des résidences hôtelières avec piscine, sanscontact avec la population locale.
Il accueille ses premiers résidents depuisquelques mois et constate lui aussi qu’ils préfèrent vivre avec des personnes qui leur ressemblent. Ils ont le même profil mais ils viennent de pays trèsdifférents et Frédéric Geoffrois ambitionne de faire émerger un lieu d’échangeet d’entente culturelle.
Le Marais reste cependant un modèle typique degentrification d’un ancien quartier historique de Paris. Mais pour Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du logement et présidente de l'Union sociale pour l'habitat, l’USHqui fédère les bailleurs sociaux : “leproblème du Marais, ce n’est pas la gentrification, c’est l’ accaparement des logements pour la location touristique. Accuser le coliving degentrification serait donc une conclusion un peu trop hâtive.
D’ailleurs, Pierre Durieux, le secrétairegénéral de l’association Lazare ne se reconnaît pas dans ces mots degentrification et d’inclusion. Il développe depuis plus de 10 ans un modèleoriginal de colocation solidaire entre jeunes actifs et personnes qui étaientsans-abri. Ils sont 6 à 10 à vivre ensemble, au moins un an, dans l’un des appartements partagés ouvert par l’association à Marseille, Toulouse ou Lille… Au total, Lazare est présentedans 11 villes françaises. Et ça marche! “Chacungrandit avec et par les autres, explique Pierre Durieux, et 95% de nos colocataires se disentheureux”.
Vitanovae,de l’habitat partagé à l’habitat d’impact
Loin d’accélérer la gentrification, ce modèle de vivre ensemble proposé par lecoliving peut donc permettre de (re)créer du lien social. Mais il impose une certaine réflexion sur les prix.
La président de l’USH, Emmanuelle Cosse encourage ainsi lesopérateurs de coliving à aller vers plus d’abordabilité. Un principe de base del’habitat partagé, puisque la mutualisation d’espaces permet, théoriquement, de réduire les loyers.
Vitanovae, première société à mission dans ledomaine de l’habitat partagé, a fait de l’abordabilité l’un des piliers de sa raison d’être et propose des loyers 20% moins chers que ceux du marchéprivatif.
Pour favoriser l’inclusion sociale, Vitanovae a fait le choix de développer des structures de petite taille, avec 5 à 20unités de vie. Elles accueillent des publics variés avec des besoins différents(personnes en mobilité ou en transition de vie après un divorce, famillemonoparentale, béguinage pour les personnes âgées, …). Elles permettent de créer des micro-communautés. Mais elles sont aussi concentrées dans un même quartier et interconnectées entre elles grâce à un tiers lieu partagé, ouvert aux résidents mais aussi aux habitants et aux acteurs associatifs, économiques et politiques du quartier.
C’est le cas de la Cuisine de Camille, qui ouvrira ses portes en novembre prochain à Bordeaux. “Créer du lien ne s’impose pas, affirme Fabrice Simondi,co-fondateur de Vitanovae, c’est unedémarche au long court qui se fait avec les habitants d’un quartier et desfacilitateurs comme nous, dont le rôle est de favoriser les rencontres qui n’avaient plus lieu”.